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La "démocratie sociale" à l'épreuve des répressions syndicales

Description du projet de recherche

La promotion de la « démocratie sociale » ou du « dialogue social » est de tous les discours politiques et médiatiques : on proclame la nécessité d’un syndicalisme plus fort et représentatif du salariat ; on célèbre partout la citoyenneté dans l’entreprise et l’engagement des individus dans leur travail. Pourtant, l’actualité récente est parsemée de faits qui dissonent avec ces discours : instauration d’un « service minimum » dans certains services publics, réquisition préfectorale des salariés grévistes des raffineries à l’automne 2010, licenciements de syndicalistes dans les entreprises tant publiques que privées, tentatives de fichage et poursuites judiciaires à l’encontre de militants syndicaux, espionnage des représentants du personnel dans de grandes enseignes commerciales, syndicalistes conduits à des tactiques extrêmes pour protester (grèves de la faim), etc. C’est de cette situation ambivalente dans le monde du travail, entre démocratie sociale et répression antisyndicale, que notre projet souhaite rendre raison.

Les faiblesses du syndicalisme ont jusqu’à présent surtout été étudiées au prisme de sa « crise », entendue comme un désajustement entre le monde du travail et sa représentation par les syndicats. A l’origine de cette crise ont été pointés de multiples facteurs, qu’il s’agisse des transformations de l’économie (chômage et désindustrialisation), des conditions de travail et d’emploi (précarisation, flexibilité, sous-traitance), des dispositifs managériaux (flux tendu, contrôle qualité), du régime juridique des relations professionnelles (crise des négociations de branche et interprofessionnelles « stato-centrées », crise du principe de représentativité) ou encore du fonctionnement interne des confédérations (bureaucratisation, politisation, oubli des identités corporatives) (Dubet et al., 1984 ; Rosanvallon, 1988 ; Beaud et al., 1991 ; Mouriaux, 1998 ; Boltanski et Chiapello, 1999 ; Labbé et Courtois, 2001 ; Pernot, 2005). Pour indispensables qu’elles soient à une compréhension d’ensemble, ces analyses, parce qu’elles mettent l’accent sur les facteurs structurels, donnent souvent prise à une lecture de la « désyndicalisation » comme un phénomène macrosocial sur lequel les acteurs auraient peu de prise. Pourtant, certains de ces travaux ont montré que les restructurations productives et l’introduction de dispositifs managériaux sont en partie informées par des stratégies conscientes d’affaiblissement des organisations syndicales. De même, une étude récente a montré que la réforme de la représentativité syndicale, qui est censée conférer une légitimité accrue aux organisations syndicales, est utilisée dans certaines entreprises pour réduire ou contourner la représentation syndicale (Béroud, Yon et al., 2011, 2013). Nous voudrions prolonger ces pistes en abordant de front la question des entraves à l’action syndicale « en situation ». Les recherches explicitement consacrées à la répression ou à la discrimination antisyndicales sont peu nombreuses. Le travail statistique récent de Thomas Breda (2010) a permis de documenter l’ampleur des inégalités salariales dont souffrent les délégués syndicaux vis-à-vis des autres salariés. Rachel Beaujollin et François Grima (2010) ont, quant à eux, pointé l’étiquetage comme « non embauchables » des leaders syndicaux ayant perdu leur emploi à l’issue d’une lutte contre un plan social. Quelques initiatives de syndicats ou de cabinets d’experts travaillant auprès d’eux ont parfois rendu compte des phénomènes de discrimination syndicale[1].

La publication d’une note de la Fondation Copernic (2011) invite à considérer cette question comme un problème d’intérêt public : bien que le droit pour tout salarié d’être représenté et la liberté d’adhérer au syndicat de son choix soient des principes constitutionnels, les entraves à l’action syndicale s’avèrent toujours nombreuses. C’est donc autant pour contribuer à la mise en visibilité de cet enjeu que pour contribuer à son analyse scientifique que nous est venue l’idée d’organiser un cycle de séminaires et journées d’études intitulé « La démocratie sociale à l’épreuve des répressions syndicales ». Celui-ci a plusieurs objectifs.

Il s’agiit d’abord de documenter les pratiques de répression et de discrimination antisyndicales, qui restent encore peu visibles, et de s’interroger sur les raisons de cette faible publicisation. Quelles logiques sous-tendent les faits de répression et de discrimination antisyndicales ? Ces agissements sont-ils en voie d’extinction, ou bien prennent-ils des formes renouvelées ? S’agit-il de pratiques dissimulées ou simplement inaperçues ? Quels instruments existent pour les rendre visibles et les mesurer ? Ces interrogations inscrivent notre projet dans la mouvance de travaux récents qui, en droit, en économie, sociologie, science politique, sciences de gestion, renouvellent les questionnements scientifiques en sortant du débat sur « crise ou renouveau du syndicalisme » pour étudier l’action syndicale au concret. Les journées d’études permettront de donner une visibilité à ces travaux et aux publications qui les relayent, en particulier au numéro de la revue Agone paru en janvier 2013 et auquel contribuent les porteurs du projet présenté ici.

Il s’agit en outre de faire dialoguer chercheurs, syndicalistes et praticiens du droit du travail sur les moyens d’un travail en commun contre la répression et les discriminations antisyndicales. De ce point de vue, le projet participe d’une actualité impulsée par la parution, à l’automne 2011, de la note de la Fondation Copernic citée plus haut, laquelle a été prolongée par l’organisation d’un colloque et le lancement d’un observatoire intersyndical à l’automne 2012.

Deux journées d’études sont prévues: la première en janvier 2013 à Lille et la seconde en septembre 2013 à Lyon, dans les institutions universitaires où travaillent les initiateurs du projet. Leur programme alterne communications scientifiques, témoignages de militants syndicaux et table ronde entre représentants d’organisations syndicales et des pouvoirs publics.

Les journées d’études seront encadrées par des séminaires de travail organisés dans les locaux de la MESHS (en novembre 2012, juin 2013 et novembre 2013).

 

Références citées :

F. Dubet, A. Touraine et M. Wieviorka, 1984, Le mouvement ouvrier, Paris, Fayard.

P. Rosanvallon, 1988, La question syndicale : histoire et avenir d’une forme sociale, Paris, Calmann-Levy.

S. Beaud, M. Pialoux et F. Weber, 1991, « Crise du syndicalisme et dignité ouvrière », Politix, 4-14, p. 7-18.

R. Mouriaux, 1998, Crises du syndicalisme français, Paris, Montchrestien.

L. Boltanski et E. Chiapello, 1999, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.

S. Labbé et S. Courtois, 2001, Regards sur la crise du syndicalisme, Paris, L’Harmattan.

J-M. Pernot, 2005, Syndicats : lendemains de crise ?, Paris, Gallimard.

T. Breda, 2010. Are Union Representatives badly Paid ? Evidence from France. Paris School of Economics, Document de travail n°26.

R. Beaujolin-Bellet, F. Grima, 2010. « La transition professionnelle des leaders syndicaux à l’issue d’un plan social », Économies et sociétés, n°32.

Fondation Copernic, 2011, Répression et discrimination syndicales, Paris, Syllepse.

S. Béroud, K. Yon, coord. (avec M. Dressen, M. Gantois, C. Guillaume et D. Kesselman), 2011, La loi du 20 août 2008 et ses implications sur les pratiques syndicales en entreprise : sociologie des appropriations pratiques d’un nouveau dispositif juridique, rapport à la DARES.

S. Béroud, K. Yon, coord. (avec M. Gantois, C. Guillaume et D. Kesselman), 2013, Quand la loi entre dans les mœurs. Le nouveau droit de la représentativité syndicale et ses implications dans les entreprises et les branches professionnelles, rapport à la DARES.



[1] Voir par exemple le rapport du cabinet Émergences, Les discriminations syndicales en France, 2004.

Democratie sociale a l'epreuve des repressions syndicales

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