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Responsabilité sociale


-> La responsabilité sociale (RS) est un concept éthique qui considère qu'un individu ou une organisation a l'obligation d'agir au bénéfice de la société au sens large. Si, sur le plan philosophique nos recherches s'appuient sur les cadres proposés par Hanna Arendt[i], Hans Jonas[ii] et Paul Ricoeur[iii], en Sciences Sociales, le concept de RS renvoie prioritairement à celui de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et plus généralement aux travaux sur la RS des organisations et des systèmes dans le champ des Sciences de Gestion et de la Sociologie des Organisations (Kalinda, 2001. Mercier, 2006)[iv].

Au regard de l'objet qui est le notre, à savoir la RSJ, notre proposition s'inscrit dans le champ de l'éthique journalistique et ceci dans la continuité des travaux que nous avons menés en 2002[v]. Au-delà des chartes et des codes éthiques qui ont pour objectif de « réguler la conduite des journalistes dans la recherche, la transmission, la diffusion, le commentaire de l'information lorsqu’ils rendent compte d'évènements » (Déclaration de principe de la Fédération internationale des journalistes adoptée au congrès mondial de 1954), notre recherche considère l’information comme partie intégrante de l’activité sociale, de légitimation, d’imposition, de stratégies d’acteurs sociaux et de lutte symbolique, ce qui amène à l’étudier comme un fait social et non comme un fait de langage (Veron, 1997)[vi] et (Esquenazi, 2002)[vii].

Partant du postulat que la fonction essentielle des médias, et le rôle du journaliste, consiste moins à informer à propos d’évènements que de « donner du sens » au monde qui nous entoure, les travaux de Bernard Delforce (1996)[viii] attribuent au journaliste une responsabilité sociale individuelle dans la construction du « sens » de l’information comme dans celle de la vision du monde (Tétu, 1999)[ix]. Les productions des journalistes ne peuvent donc que venir bousculer où, au contraire, conforter des discours sociaux qui leur préexistent. « Donner du sens » implique donc une responsabilité sociale de la part du journaliste dans la mesure où sa pratique professionnelle lui impose de prendre en compte les effets sociaux de l’acte médiatique (imputabilité). Cette fonction fait du journaliste un acteur social à part entière, et non un simple témoin-médiateur hors du jeu social. Remplir pleinement ce rôle social, c’est, selon B. Delforce, adopter une posture citoyenne qui impose des façons spécifiques de regarder les choses, de les penser et d’en parler. Alors qu’émergent de nouvelles formes de journalisme parfois hâtivement rassemblées sous le terme de « journalisme citoyen », l’activité des journalistes trouve actuellement un prolongement dans des dispositifs d’auto-publication, tels que les blogs ou les médias sociaux, qui ouvrent des espaces nouveaux d’expression tout en étant confrontés à d’autres contraintes éditoriales ou institutionnelles. Devant la multiplication des sources d'informations mises à disposition du grand public, « donner du sens » à l'information s'impose comme un besoin et une demande sociétale (Beciu & al., 2009)[x] ; (Pereira & Maia, 2010)[xi]. Cette attente renforce la RSJ. Sous peine de passer à côté d’un phénomène médiatique qui s'impose dans les émissions de sport à la télévision (cf. Roland Garros et JO en 2012 qui on introduit les Twitt) comme un lieu d'expression / régulation des discours médiatiques (notamment dans les émissions en direct), le projet RSJ-MéDiS se propose d'inclure l'analyse de ses nouveaux espaces médiatiques (Twitter - T3) afin d’intégrer la contemporanéité des pratiques, des discours et des outils médiatiques dans l’étude de la RSJ.

Sur le plan académique, « The Hutchins Commission », en posant les bases de l'éthique journalistique (A Free and Responsible Press, 1947), inspire la publication en 1956 de l’ouvrage de Siebert, Schramm et Peterson[xii], considérée jusqu'à aujourd'hui comme le point de départ de la conceptualisation théorique de la responsabilité sociale des médias: Four theories of the press. Les années 1990, sur fond de crise économique, d’aggravation des inégalités, de concentration industrielle et de financiarisation accrue des entreprises de presse, en altèrent la vision. (Watine, 2003)[xiii]. En France, les travaux de Ruellan (1993)[xiv] ré-interrogent la profession de journaliste et ceux de Bohec(2000)[xv], Ramonet (2001)[xvi] et Champagne (2000)[xvii] font explicitement référence aux positions théoriques de Bourdieu (1996)[xviii] selon lesquelles la responsabilité sociale des médias reste incompatible avec la doctrine libérale de la presse. Ils dénoncent ainsi l’usage d’une rhétorique d’entreprise citoyenne à des fins de promotion commerciale et de relations publiques. A une époque où la crédibilité et la déontologie du journalisme (de presse écrite, radio et télévision) est largement remise en question (pour l'Amérique du Nord : Nerone, 1995[xix] ; pour la France : Pigeat, 2000[xx]), constat souligné en France par un rapport du Ministre de la culture (juil. 1999) qui démontre une forme de dérive dans la pratique journalistique ainsi que dans la « maîtrise éditoriale des principaux médias » (Charon, 1999)[xxi], la question de la RS et plus particulièrement de la RS des médias connait un nouvel essor.

Les travaux de Denis McQuail et le choix sémantique et méthodologique qu'il a entrepris en centrant ses recherches non plus sur la RS mais sur « the accountability of medias »[xxii], que l'on peut traduire par imputabilité des médias, démontrent la nécessité de changer d’échelle d’analyse et de passer de celle ‘des médias’ à celle ‘des journalistes’ pour étudier la RS du journalisme dans les sociétés modernes[xxiii]. La RSJ pensée de façon globale à la fois à l'échelle de l'éthique personnelle et professionnelle doit ainsi être analysée au regard de la prise en compte des logiques politiques, des contraintes juridiques, de l'influence du lectorat ou encore des groupes de pression à la fois économiques (actionnaires, sponsor et partenaires financiers) ou encore sociales (lobbys associatif, communautaire) sur la pratique et les productions médiatiques.

 


[i] Arendt H., Responsabilité et jugement, Paris, Payot. 2003 (Trad. 2005).

[ii] Entretien revue Esprit, Novembre 1994.

[iii] Ricœur Paul, Éthique et responsabilité, Neuchâtel, La Baconnière, 1995.

[iv] Kalinda B. (Eds.). Social Responsibility and Organizational Ethics. Encyclopedia of Business and Finance. New York: Macmillan Reference, 2001. Mercier J.Y., « La responsabilité sociale : prendre position au quotidien », in Human Ressources Today, décembre 2006 (revue électronique).

[v] Journalisme Sportif : le Défi éthique. Les Cahiers du Journalisme n°11, Fabien Wille - Loïc Hervouet (dir.), ESJ-Lille, Université Laval (Québec), Décembre 2002, 245 pages.

[vi] Véron E., Construire l'événement. Les Médias et L'accident de Three Mile Island, Paris, Ed. De Minuit, 1997.

[vii] Esquenazi J.P., L’écriture de l’actualité. Pour une sociologie du discours médiatique, Grenoble : PUG, coll. La communication en plus, 2002. p. 6-8

[viii] Delforce B., « La responsabilité sociale des journalistes : donner du sens », in Les cahiers du journalisme, n°2, Le journaliste, acteur de société, Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, décembre 1996, 16-33.

[ix] Tétu J.F., « Introduction », in Jamet Claude et Jannet Anne-Marie, La mise en scène de l’information, Paris/Montréal : L’Harmattan, coll. Champs visuels, 1999, 1-13.

[x] Beciu C., Pélissier N., Perpeléa N., « De ‘eux’ au ‘nous’ : étude d'impact de la construction européenne sur la responsabilité sociale des journalistes », in Revue Roumaine de Sociologie, vol.20, n°3-4, 2009, 289-298.

[xi] Pereira F.H., Maia K., « La liberté de la presse et l’identité des journalistes au Brésil », in colloque: Les journalismes : réalités plurielles, éthique commune ?, Université d’Ottawa, 8 mai 2010. http://www.crej.ca/REJ2010/Pereira%20et%20Maia.pdf

[xii] Siebert et al., Four theories of the press: the authoritarian, libertarian, social responsibility, and Soviet communist concepts of what the press should be and do, University of Illinois Press, 1956.

[xiii] Watine T., « Le modèle du ‘journalisme public’ », in Hermès, n°35, 2003, 231-239.

[xiv] Ruellan D., Le professionnalisme du flou. Identité et savoir-faire des journalistes français, Grenoble, PUG, 1993.

[xv] Le Bohec J., Les mythes professionnels des journalistes, Paris, L'Harmattan, 2000

[xvi] Ramonet I., La Tyrannie de la communication, Folio Actuel, n° 92, 2001

[xvii] Champagne P., « Le journalisme à l’économie », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°131-132, Paris, Seuil, 2000, 3-7.

[xviii] Bourdieu P., Sur la télévision, Paris, Liber-Raisons d'Agir, 1996. Bourdieu Pierre, « Journalisme et éthique », Les Cahiers du journalisme, n°1, juin 1996, 70-77.

[xix] Nerone J.C., “On Social Responsibility”, in Nerone J.C., Last Rights: Revisiting Four Theories of the Press, University of Illinois Press, 1995, 77–100.

[xx] Pigeat H., Huteau J., Déontologie des médias. Institution, pratiques et nouvelles approches dans le monde. Paris, PUF, Ed. UNESCO, 2000.

[xxi] Charon J.M., Réflexions et propositions sur la déontologie de l'information. Rapport à Madame la Ministre de la culture et la communication, 1999, p.4.

[xxii] McQuail D., “Accountability of Media to Society Principles and Means”, European Journal of Communication, Vol 12, n°4, Dec. 1997. ET, McQuail D., Media accountability and freedom of publication, Oxford University Press, 2003

[xxiii] Christians C.G. et al., Normative Theories of the Media: Journalism in Democratic Societies, University of Illinois Press, 2009.

European Journalists for Diversity

N° de décision :
ANR-15-CE26-0006-01

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Le projet Responsabilité Sociale des Journalistes, Médias, Diversité & Sport a pour objectif d'analyser la responsabilité sociale des journalistes de sport dans le traitement médiatique de la diversité.