Passer au numérique : les enjeux de l'édition scientifique

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Les chercheurs en SHS et le numérique : stagnation au stade primitif

De tous les sujets abordés au cours de cette après-midi, la formation des chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS) aux outils et usages du numérique est celui ayant suscité le plus de débats. Les savoirs et compétences sont jugés à l'heure actuelle insuffisants car l'utilisation qui est faite des outils reste encore très partielle voire basique. Les chercheurs ne sont pas formés pour exploiter au maximum le potentiel du numérique et la situation semble empirer, la maîtrise des outils étant de plus en plus faible. Un exemple simple mais pourtant révélateur symbolise cette "incompétence généralisée". Personne, sinon une infime minorité, ne maîtrise la stylistique automatisée d'un traitement de texte. L'éducation à l'informatique et internet des élèves et étudiants (B2i et C2i) ne remplit pas ses objectifs et nécessite une refondation. Une véritable action de formation en amont est indispensable car nous glissons lentement vers une stagnation du niveau des chercheurs qui demeurent coincés à l'âge de pierre et "utilisent Word comme une machine à écrire" selon Pierre Mounier. Par ailleurs, l'avancée des sciences humaines et sociales vers le numérique au travers des humanités digitales contraste fortement avec le retard des compétences des chercheurs et enseignants-chercheurs en SHS.

La recherche manque de formation professionnelle continue

"Être chercheur ou enseignant-chercheur, c'est un métier et une vocation. En tant que métier, cela implique une formation professionnelle technique continue." Pierre Mounier.

Or, c'est bien ce manque de reconnaissance et de moyens attribués aux formations au numérique au sein de la recherche publique que pointent du doigt les chercheurs. Le monde académique n'encourage pas la formation selon les universitaires. Ils réclament de meilleurs aménagements de leurs emplois du temps ainsi qu'un soutien financier plus affirmé. Il semble anormal de devoir prendre un ou plusieurs jours de congé pour suivre une formation à l'autre bout de la France, en prenant en charge tous les frais de transport et d'hébergement. Pour ces raisons, les chercheurs en SHS se distinguent comme étant le seul public impliqué dans l'information scientifique et technique à très peu fréquenter les URFIST, les unités régionales de formation à l'information scientifique et technique (avouons aussi qu'ils n'y vont pas de bon cœur...). Cette question de la formation nécessite d'être replacée au cœur d'une nouvelle politique de la recherche car d'autres problèmes ont été soulevés au cours de la séance. Entre autres, la nécessité d'implanter de nouvelles unités régionales de formation, le Nord de la France en étant cruellement dépourvu. De même, les universités françaises se doivent de changer de position sur le sujet en permettant la mise en place d'actions nationales de formation (ANF) en leur sein, à l'instar de ce que fait le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et en cessant d'accorder aux seuls doctorants l'accès à ces formations.

"Le numérique n'est pas considéré comme un pilier fondamental des disciplines en SHS"

C'est donc toute une profession qui doit changer d'état d'esprit, en haut comme en bas. Comme l'a souligné à juste titre Gabriel Galvez-Béhar, "le numérique n'est pas considéré comme un pilier fondamental des disciplines en SHS". Quand on y pense, le contraste entre un doctorant en sciences dures et un doctorant en SHS est saisissant. Tandis que le premier bénéficie d'un accompagnement continu au cours de son parcours, le second se doit d'être multitâche et d'assumer seul sa formation. Mais force est d'admettre que l'inclinaison de ses derniers pour les outils du numérique n'est pas toujours évidente, voire parfois inexistante. Elena Pierazzo, qui forme régulièrement des chercheurs à l'utilisation de langages informatiques (XML et consorts), note leur difficulté culturelle à considérer le numérique comme quelque chose d'utile. Au contraire, la méfiance semble plutôt de mise, eux qui voient cette étrange instrument qu'est un ordinateur comme quelque chose de trivial. Après tout, pourquoi apprendre à faire du code quand on a passé des années à apprendre le Grec et le Latin. Les chercheurs sont encore attachés au mythe du "génie de l'auteur" et s'attachent à perpétuer cette tradition séculaire du dénigrement de la technique. Elena Pierazzo, qui a bien saisi les particularités du chercheur en SHS, a développé une stratégie de formation étonnante spécialement adaptée à leur profil : il ne faut pas chercher à baisser le niveau, au contraire il faut motiver par la difficulté. L'essentiel n'est pas de confronter le chercheur à ses propres limites mais de l'engager intellectuellement au travers d'un projet à long terme dans lequel il puisse trouver son intérêt.

Évaluation et reconnaissance des revues en ligne

Un autre thème a été abordé au cours des discussions : la considération des chercheurs pour les productions en ligne. Face à l'explosion du nombre de revues, les chercheurs confessent leur désarroi pour juger de leur fiabilité. S'ils sont préparés à jauger les livres imprimés, ils se sentent désemparés face aux productions en ligne selon Elena Pierazzo. Cette dernière souligne à ce sujet qu'en Grande-Bretagne le regard des étudiants sur les ressources numériques a fortement évolué ces dernières années. Les bibliographies de thèses sont composées de manière quasi exclusive d'articles en ligne. Elle appelle ce phénomène la stratégie du "good enough" ("suffisant" en français), c'est-à-dire que si un article est disponible en ligne, c'est parce qu'il est de qualité suffisante, "il est suffisamment bon". En revanche, les étudiants dénigrent d'une certaine manière les articles imprimés. Si la version numérique n'existe pas, c'est que l'article est mauvais. C'est donc un fait de plus en plus avéré que les futurs chercheurs considèrent le caractère numérique d'un document comme gage de qualité.

Nicolas de Lavergne constate pour sa part que des plateformes telles qu'OpenEdition.org ou Cairn.info voient leur fréquentation augmenter régulièrement. Il pose la question de savoir s'il ne faut pas observer là la confirmation d'un changement culturel vis-à-vis des articles en ligne au sein de la communauté scientifique. Diriger ou publier dans un journal disponible sur Revues.org ne semble plus diviser la communauté scientifique comme c'était le cas il y a quelques années.

Cependant, comme d'habitude, les chercheurs ne sont pas à une contradiction près. Contrairement aux attentes, le passage en ligne de textes classiques de la littérature anglaise, comme par exemple les manuscrits de Jane Austen (projet conduit par Elena Pierazzo), n'a pas rencontré le succès escompté. On pourrait penser que le fait de numériser les textes originaux, de les enrichir grâce aux possibilités offertes par le numérique attirerait le chaland, mais non, les chercheurs boudent cet outil, comme le prouvent les chiffres des ventes de textes imprimés toujours très élevés. Le papier reste un support dont le prestige convient mieux aux monuments de la littérature. Au passage, Elena Pierazzo soulève un élément intéressant en argumentant que le prix que l'on paye influe probablement sur notre perception de la qualité d'un objet. Ainsi, les éditions numériques de textes classiques pâtissent de leur gratuité, victimes paradoxales de l'open access.

Un autre point d'interrogation, celui de l'évaluation. Les participants ont exprimé leurs doutes quant aux critères actuels d'évaluation des chercheurs, basés sur des indicateurs bibliométriques. Il leur paraîtrait logique d'adapter le modèle aux pratiques des chercheurs en valorisant la publication en ligne sur des blogs ou carnets de recherches (Hypothèses.org) ainsi que le dépôt dans des archives ouvertes telles que HAL-SHS. De même, il faudrait prendre en compte le fait que les chercheurs ne sont pas le seul public à consulter les publications en accordant davantage de considération aux usages des lecteurs, notamment aux lectures scientifiques des étudiants.

Bilbo, un outil qui vous veut du bien

En conclusion de cette enrichissante après-midi, Élodie Faath nous a présenté Bilbo, un outil d'annotation automatique de références bibliographiques. La force de Bilbo est d'être doté d'un système d'apprentissage automatique, basé sur des statistiques, qui lui permet d'annoter beaucoup de formats et d'intégrer de nouveaux modèles. Ce très pratique outil opère de la manière suivante :

étape 1 : il détecte et annote sémantiquement les références, c'est-à-dire qu'il identifie dans le texte les champs qui composent la référence (titre, auteur, éditeur, date...).

étape 2 : il enrichit la ressource en créant des métadonnées d'une propreté remarquable.

étape 3 : il relie la référence détectée à son DOI (Digital Object Identifier). Le DOI s'affiche sous la forme d'un lien cliquable qui permet d'afficher et de télécharger sous différents formats la référence dont il est question dans l'ouvrage traité. C'est magique !

 

Auteur : Lucas Noyelle


DHnord2014 - Logo2DHnord2014. Humanités numériques : des outils, des méthodes, une culture.
Retrouvez d'autres contenus sur le site du colloque : http://dhnord2014.meshs.fr


Nicolas de Lavergne est responsable communication et innovation numériques au sein de la Fondation Maison des sciences de l'homme depuis 2010, il contribue à la stratégie numérique globale de l'institution, en gérant le site Internet, en coordonnant et animant la présence sur le web des différents services et programmes de la Fondation (sites, carnets de recherche, réseaux sociaux, revues en ligne, archives ouvertes...). Il est chargé de l'édition de la collection de Working papers de la FMSH (hébergés sur halshs, diffusés via wpfmsh.hypotheses.org et autres). Il anime le site ifre.fr, portail commun de valorisation des 27 instituts français de recherche à l'étranger et accompagne lesdits instituts dans leur stratégie numérique (sites Internets, réseaux sociaux, édition électronique, archives ouvertes...).

Elodie Faath officie au sein d'OpenEdition Lab, chargée de la coordination des projets "Text-mining". L'OpenEdition Lab est un programme de recherche et développement lancé en 2011 dont l'objectif est d'exploiter au mieux les potentialités du numérique en créant de nouvelles fonctionnalités de lecture, d'écriture, de navigation et de recommandation destinées à s'introduire dans les offres d'OpenEdition. Élodie Faatth a effectué un doctorat en sciences de l'information et de la communication sur les nouvelles circulations de l'information scientifique sur le web et sur son évaluation. Depuis 2011, elle travaille sur le projet Bilbo, un outil d'annotation automatique des références bibliographiques aujourd'hui opérationnel.

Jérôme Foncel est maître de conférences à l'Université Lille 3, ses recherches portent sur l'économie industrielle appliquée, la micro-économétrie, l'économétrie de la production. Il a notamment partagé son expertise auprès de la commission européenne. Il a fait partie du comité scientifique de l'ouvrage L'information scientifique et technique dans l'univers numérique, Chérifa Boukacem-Zeghmouri (dir.), ADBS éditions, Paris, 2010. Actes du colloque "Ressources électroniques académiques : mesures & usages", Université Lille 3, 26 et 27 novembre 2009.

Gabriel Galvez-Behar, ancien élève de l'École Normale Supérieure (ENS) de Cachan et de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), est maître de conférences en histoire à l'Université Lille 3, membre du laboratoire IRHiS et membre junior de l'Institut universitaire de France. Ancien directeur de la Maison européenne des sciences de l'homme et de la société (MESHS) de Lille, ses travaux portent sur l'innovation et la propriété intellectuelle aux XIXe et XXe siècles, la propriété scientifique en Europe de 1870 à 1940. Il est agrégé et doctorant grâce à sa thèse "Pour la fortune et pour la gloire". Inventeurs, propriété industrielle et organisation de l'invention en France, 1870-1922", soutenue en 2004. Gabriel Galvez-Behar est membre du comité éditorial de la revue Le Mouvement social (depuis 2005) dont il a été le secrétaire de rédaction.

Lucas Noyelle est étudiant en Master 1 en sciences de l'information et du document à l'université Lille 3, il effectue son stage de fin d'année au sein de la MESHS, en tant que chargé de la documentation et de la restitution du colloque DHnord2014. À ce titre, il a participé aux deux sessions de l'atelier "Passer au numérique" pour lesquels il a rédigé des comptes rendus.


Organisation : Maison européenne des sciences de l'homme et de la société, Learning Center Archéologie/Égyptologie/SHS de l'université Lille 3
Partenaires : Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, Open Edition, GERiiCO, Ecole doctorale SHS, Ecole doctorale SJPG,
ANR CHispa

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